lunes, 3 de septiembre de 2012

Les étoiles selon Rey

Marcelo Damiani

Au début, Reynaldo était simplement Rey. Il régnait, souverain et autarcique, sur ses parents, ses tantes et ses oncles, ses grands-parents ainsi que sur les amis de la famille, sans le moindre obstacle ou la plus petite opposition. Il n'avait qu'à émettre un son guttural et las en désignant l'objet de son désir pour que sa volonté soit exaucée sur-le-champ. La vie, à cette époque-là, consistait à individualiser la forme des choses qui pullulaient autour de lui, et ensuite, à se consacrer à la tâche ardue de décider s'il les voulait maintenant ou plus tard. Sans doute était-ce là que résidait la clé permettant de comprendre sa fascination précoce pour le cinéma, même s'il se plaignait souvent d'avoir connu le septième art assez tard. Sa mère l'avait emmené pour la première fois dans une salle de projection peu avant qu'il fête ses quatre mois, à son 111e jour de vie pour être exact, et cela, évidemment, équivalait à une irrémédiable perte de temps. Par ailleurs, à travers le défilé incessant des images à l'écran, le petit Rey avait découvert le phénomène de la déception. Les sons gutturaux, les gestes spasmodiques et jusqu'aux plus épouvantables des crises de larmes semblaient insuffisantes pour endiguer le flot des objets désirés et rapidement perdus à jamais dans cette lucarne de l'infini. C'était comme se trouver au milieu d'un incontrôlable ouragan de stimulations qui le secouait d'un côté et de l'autre sans aucune compassion. Rey ressentait des explosions de plaisir, mais comme si, simultanément, elles étaient submergées dans un turbulent courant de douleur. Cela semblait destiné à venir à bout de sa capacité d'étonnement, ainsi que de son énergie, vu qu'après ses véritables séances de torture, il finissait épuisé. De sorte que chaque sortie au cinéma affaiblissait son pouvoir, et pendant un temps, le transformait en un bébé apathique et méditatif, nourrissant de lourds soupçons sur l'authenticité de son règne. Progressivement, cependant, les choses reprenaient leur cours normal et il recommençait à exercer son pouvoir tyrannique sur les tous êtres qui l'entouraient. Parallèlement, son désir de retourner au cinéma s'aiguisait, pour prouver de nouveau sa force devant ce rival qui le tentait avec des objets qu'ensuite il cachait ou faisait simplement disparaître, sans qu'intervienne une quelconque logique ou notification. En outre, plus il y avait de temps qui s'écoulait entre deux films, plus il était sûr que cette fois, il pourrait contrôler le flux d'images à sa guise. Sauf que quand il revenait dans la salle obscure, les choses continuaient à lui échapper irrémédiablement. Et sa mère, au lieu de lui fournir ce qu'il demandait, comme à n'en pas douter c'était son rôle, l'emmenait loin de là, sous la menace – unique option raisonnable face à ses cris et trépignements puérils ; du moins jusqu'à ce que sa gorge se fatigue de hurler et que tout son corps, vaincu, glisse dans le sommeil. Voilà comment le cinéma devint son pire ennemi.
La naissance de sa sœur, l'apprentissage de l'alphabet et l'apparition de nouveaux et plus grands obstacles l'empêchant de préserver son règne dans le palais familial, lui donnèrent néanmoins l'opportunité d'afficher une certaine indifférence à l'égard de ce monstre qui se montrait toujours si imperturbable vis-à-vis de ses pouvoirs plus que douteux. Ensuite, comme ces ennemis dont les vies finissent par dépendre du combat qu'ils ont entrepris, il se mit à être subjugué par les images. Leur magie le projetait hors du monde. En une misérable tentative pour découvrir leur mécanisme, il avait l'habitude de se repasser mentalement les meilleures parties des films qu'on l'emmenait voir, cherchant à débusquer le truc qui l'avait fait tomber dans leurs filets. De sorte qu'il sombra dans le fétichisme. Par le biais de photos et de figurines, il essayait de s'approprier certains visages ou personnages qui, toutefois, ne cessaient pas de lui démontrer leur caractère revêche et fuyant. Peu importait tout ce qu'il avait déjà, il y avait toujours quelque chose qui échappait à son pouvoir ; il comprit donc que la réalité n'était en rien similaire à ses images. Peut-être est-ce à cause de cela qu'il ne sentit pas que ses pouvoirs étaient en train de vaciller, jusqu'à ce qu'il relie ce qu'il se passait sur l'écran à des paroles précises qu'il apprenait jour après jour, et qui paraissaient, au même titre que les images, destinées à emplir de sens le courant des événements qu'était sa vie. Le point d'inflexion, lorsque les images et les mots se mêlèrent pour toujours, surgit dans un cinéma en plein air, non loin du dernier qu'il restait sur l'île ; là, il découvrit le secret des étoiles.
Sa famille venait d'arriver à Buenos Aires et Rey avait déjà nombre de souvenirs heureux d'autres cinémas en plein air et d'autres nuits d'été passées à contempler des films à l'extérieur. Il va de soi que parfois, le plus intéressant était le spectacle du ciel et des étoiles ; si bien que cela ne le dérangeait pas de changer d'écran et de s'endormir avec l'agréable sensation d'être une partie importante de l'univers. Sa famille, aussi loin que remontait sa mémoire, avait toujours vécu dans une grande maison des environs de Colonia. L'été, quand la chaleur devenait insupportable, ils avaient l'habitude de dormir dans la cour du fond. C'était l'un des rares cas où Rey appréciait énormément tous les préparatifs préalables au grand événement. En général, la soirée commençait par un barbecue préparé par son père, sans dessert et avec le pressentiment de ce qui s'annonçait ; Rey avait remarqué que ses parents utilisaient ces dîners dehors pour scruter le ciel, à la recherche de nuages suspects. Régulièrement, la pluie les avait surpris au beau milieu de la nuit, et, au-delà de la bonne humeur avec laquelle ils faisaient face à l'imprévu, personne n'aimait que son sommeil soit gâché de la sorte. Il leur arrivait même d'avoir recours au flair de leur chienne pour régler la question. C'était une doberman vive qui détestait la pluie et qui, donc, quand elle la sentait venir, cohérente avec elle-même, n'approchait la cour sous aucun prétexte, même s'ils la tentaient avec les morceaux de viande les plus juteux. Rey aimait cette chienne. Elle avait été sa camarade de jeux et d'explorations avant la naissance de sa sœur, et sa mère ne se lassait jamais de lui répéter qu'ils étaient nés le même jour. Mais Rey, lui, ne trouvait pas cette coïncidence aussi frappante que celle de son nom : La Noire était noire. Cela paraissait stupide, mais, pour lui, c'était très sérieux. Il avait demandé plusieurs fois à ses parents, ensemble et séparément, pour confronter leurs versions, qui l'avait baptisée ainsi ; Rey, fidèle à son statut de roi, était un monarque très méfiant. Apparemment, son nom lui avait été donné par un vétérinaire inconnu : Rey aurait aimé lui demander pourquoi il l'avait choisi, vu que tous les dobermans qu'il avait croisés étaient noirs. Est-ce que cela ne prêtait pas à confusions ? Comment savoir précisément laquelle était La Noire ? Était-il possible que personne avant n'ait eu l'idée de donner ce nom-là à une autre doberman ? Ou alors ils s'en fichaient ? Les gens réfléchissaient-ils avant d'agir ? C'était la raison pour laquelle il choisissait toujours sa chienne comme personnage principal chaque fois qu'à l'école, on lui demandait d'écrire une rédaction avec un sujet libre. Mais ses maîtresses ne comprenaient pas non plus l'importance de la question. Rey soupçonnait qu'il y avait beaucoup de choses que les adultes ne comprenaient pas ou ne voulaient pas comprendre, volontairement. Ce qu'en revanche, ils semblaient avoir bien compris, c'était que La Noire ne se trompait jamais quand il s'agissait de prévenir qu'il allait pleuvoir. Du coup, dès lors que ses parents étaient convaincus qu'il n'y aurait pas de pluie la nuit, pendant qu'ils débarrassaient la table, juste avant d'aller regarder la télévision ou directement au lit, la question tant attendue était posée : « Qui veut de dormir dehors ce soir ? » « Moi ! Moi ! » criait sa sœur, et Rey échangeait un regard lourd de sous-entendus avec sa chienne. Alors, ils se précipitaient pour aller chercher les morceaux de tissus qu'avait faits leur mère pour installer sur le gazon. Arrivait ensuite le tour des matelas, tâche exclusive des hommes de la maison ; les femmes, elles, se chargeaient des draps, des courtes pointes et des couvertures, au cas où il ferait trop froid pendant la nuit. Enfin, les tortillons, les bombes et les crèmes pour les protéger des moustiques. Rey était toujours le premier à se coucher, mais le dernier à s'endormir, comme s'il craignait de manquer le spectacle de la nuit étoilée.Quand ses parents se couchaient, Rey demandait à sa mère où étaient La Croix du Sud, Les Trois Maries, Les Pléïades, L'Étoile du Berger, et, évidemment, sa planète préférée : Mercure. Il savait parfaitement où elles se trouvaient, mais il ne lassait jamais de poser la question, comme s'il lui fallait une nouvelle confirmation du savoir qu'il avait acquis après tant de nuits à dormir dehors. Il ne se contentait pas d'identifier les groupes d'étoiles qui lui étaient familières, il cherchait aussi de nouvelles formes dans le ciel. Parfois, il avait l'impression de voir des bateaux, des chevaux, des chiens, des trains et des arbres, voire des dragons qui ressemblaient au grain de beauté qu'il avait sur l'un de ses bras. Il essayait toujours de partager ses trouvailles avec La Noire, unique membre de la famille qu'il pouvait réveiller en pleine nuit sans se faire gronder. La Noire ouvrait un œil stoïque, regardait vers le point que lui désignait son maître, émettait un soupir d'assentiment et se réinstallait à côté de lui pour se rendormir. C'était ça, la vie.
 Ces nuits furent ce qui lui manqua le plus quand ils durent déménager à la capitale. Sa famille vivait maintenant dans un petit appartement sans cour, ils n'avaient pas de voiture et ne pouvaient même pas s'offrir le luxe d'aller au cinéma. Rey ne regrettait pas seulement le fait de pouvoir s'endormir en regardant les étoiles, mais aussi – surtout – d'aller voir des films en plein air. Cela explique qu'il commença à s'éclipser le samedi soir, sous le prétexte d'aller danser, alors qu'en réalité, il se rendait au cinéma en plein air, avec l'espoir de trouver un trou dans le grillage ou d'entrer en cachette en profitant de l'inattention des vigiles. Mais il n'avait jamais de chance. Ainsi, il finit par connaître le moindre recoin de l'endroit et, une nuit, il découvrit un arbre d'où il voyait tout l'écran géant. Certes il n'entendait pas, mais il s'amusait à lire sur les lèvres des acteurs, et par ailleurs, très souvent, les gestes ou les regards en disaient plus que tous les dialogues du monde. L'une des meilleures images dont il se souvenait, celle qui lui permit de découvrir le secret des étoiles, était celle d'une femme à la beauté inoubliable ; il ne sut jamais son nom ou, peut-être, l'oublia-t-il exprès, afin de mieux en garder le souvenir. Elle venait de commettre un acte atroce, vengeur, impardonnable, et néanmoins, on ne pouvait s'empêcher d'admirer ses traits parfaits et sa parfaite chevelure noire. L'image qu'il n'oublierait jamais était celle où elle regardait droit devant elle, son amant, la caméra : Lui ; ses yeux verts étincelaient au cœur de la nuit tandis que le fond obscur de l'écran se fondait dans le ciel étoilé. C'est alors qu'il découvrit le secret ; c'est alors qu'il comprit pourquoi on considérait certaines actrices comme des étoiles.

       Traduction de l'espagnol (Argentine): Marine Amilien / Kimberly Bance / Helena Borrego / Pauline Bouchière / Boudesseul Juliette / Lucie Bréguier / Jordane Coutin / Céleste Dochen / Blanche Doussin / Déborah Drouillard / Julie Dubois / Margot Heudel / Alice Hubourg / Cassandra Lecomte / Nicolas Machado / Hadji Msahazi / Marie Pépin / Maxime Poncet / Éléonore Renaud / Loïck Verron - Université de Poitiers.

      Merci beaucoup à tous. M.D.

domingo, 2 de septiembre de 2012

Algunas palabras sobre Caracas

       Caracas es una ciudad de motos y de autos. No es muy apta para el caminante con ganas de conocerla a pie ni para el peatón desprevenido. Tampoco parece ser una ciudad de bicicletas, como en la que se está convirtiendo Buenos Aires. Su tránsito es agresivo y dispar. Abundan las camionetas importadas, nuevas, relucientes, con conductores que hacen portación constante de celulares, pero también los coches viejos, grandes, clásicos, imposibles de mantener en otro lugar donde la nafta no sea más barata que el agua. Siempre se escuchan bocinas y sirenas en todas partes.

       La nota completa acá.